Calcutta - Varanasi

20.01.2013
Encore une fois, le levé aux aurores est difficile. Nous n'avons pas encore rattrapé la fatigue qui commence à s'accumuler. Mais on verra ça plus tard. Nous sommes réveillés par la prière musulmane, un chant languissant agréable à l'oreille, qui émane des hauts-parleurs de la mosquée d'à côté. Suivi par le carillon de l'église du quartier. Alors c'est reparti, on emballe nos affaires, laisse les sacs à l'hôtel. Et nous rejoignons la maison Theresa, pour un petit déjeuner, suivi d'une prière par une sœur. Nous retrouvons les nombreux volontaires et nos compagnons d'hier, qui se rendent aujourd'hui au dispensaire des enfants. Nous les accompagnons en bus puis en rickshaw.
Le centre accueille des enfants physiquement ou mentalement handicapés, avec de bien maigres moyens. Les bambins sont ramassés dans les rues, âgés de 2 à 18 ans environ, 150 en tout. Autant dire que les jouets sont inexistants, contraste imposant avec les montagnes de cadeaux pour tous les Noëls à l'européenne, qui nous dégoûtent. Au rez-de-chaussé sont regroupés les garçons, au second étage les filles, où nous sommes conduits. Le premier sert de lieu de regroupement. Pas d'ascenseur, il faut donc porter les enfants un à un à l'étage du dessous. On les pose sur des nattes à même le sol, qui protège un peu du froid, puis on part chercher le suivant. Une fois que tout ce petit monde est rassemblé dans la pièce commune, on essaie un peu de les distraire et de les câliner. On improvise du mieux que l'on peut, certains retrouvent pour 3 secondes le sourire, tandis que d'autres ne calculent pas l'environnement qui les entoure, bavent, crient, ou jouent de l''air guitar'. On ne sait pas ce qui est le mieux.
Comme c'est dimanche, le prêtre débute la messe une fois les sœurs assises (2h selon Laure, non en réalité qu'une seule) mais avec les bambins sur les genoux, qu'ils faut calmer au mieux (sinon ils doivent sortir de la salle), le temps parait un tentinet longuêt. Les sœurs sont imperturbables et regardent avec adoration l'autel. Lors des chants, les larmes en viennent aux yeux, quand on voit toute cette misère humaine qui règne.
Laure a vraiment du mal à comprendre cette foi autour d'elle, et pense cruellement que la plupart des jeunes êtres humains presents ici préféreraient sûrement mourir, s'ils arrivaient à se rendre compte de leurs pauvres situations. Ils passeront leurs vies entières derrière la grille, dans ce sinistre bâtiment, accompagnés par des sœurs aux cœurs larges mais sans douceur, sûrement épuisées par le quotidien. (Désolé pour toutes ses ressentiments vulgaires, mais c'est du direct).
Certains enfants chantent, d'autres essaient de suivre le rythme, comme cette adolescente que Laure prend sous son aile. La fille fortement handicapée (qui fait d'ailleur un concours de moustache avec Yoann!) veut se lever dès qu'un brin de musique débute, alors elle l'accompagne et la fait se dandiner (danser est un bien grand mot), au grand désarroi des croyantes. La fillette resplendit alors. Mais se fatigue très rapidement aussi, ce qui n'a rien d'étonnant vu l'angle à 45 degrés entre ses pieds et ses jambes, ainsi que l'état de crispation de tous ses membres... Alors on se rassoit, Laure la masse et lui chante des mélodies douces dans l'oreille. Difficile à 'tenir tranquille' une autiste.
Une autre fillette magnifique a les yeux pétillants qui reflètent toute son intelligence, malgré son grave handicap physique. Elle essaie de tourner les feuilles d'un livre entre ses doigts crispés, et y arrive tant bien que mal, avec de nombreux encouragements et une volonté de fer. Quel avenir pour elle? Ainsi que pour tous les autres?
Lorsque la messe est terminée, on remonte les enfants dans leurs lits ou sièges roulants (de vieux fauteuils sans matelas, qui infligent escarts et compagnie aux pauvres petits).
Yoann ne se sent pas très bien, son ventre rouspète. Il nous faut quitter le centre plus tôt que prévu. Alors on quitte ces enfants, qui ont refermé leurs doigts crispés sur nos mains. C'est une déchirure... On ressort dans la rue miséreuse et répugnante, avec le fort sentiment d'impuissance, de nulleté. L'horreur n'est pas plus douce dehors. Les bambins des rues sont sujets aux mêmes maux de ventre que Yoann, sauf qu'eux chient sur les trottoirs, rajoutant encore de la saleté au chaos...
Nous optons pour le taxi, qui accepte de rouler avec le compteur après discussion. On se pause dans le couloir de l'hôtel, puis on ressort acheter un paquet de gâteaux au supermarché, une valeur sûre pour nos estomacs. On se restaure dans un boui-boui, (après être ressorti d'un premier le ventre vide car un chien crevé gise devant l'entrée, les mouches s'attaquent déjà aux yeux) plat de riz pour Yoann, lentilles pour Laure. Puis on retrouve un anglais de 70 ans qui consacre de son temps chez mère Theresa, assis sur un banc dans la rue. Il revient tout juste d'un centre, ouvert seulement le dimanche, qui permet aux jeunes des rues de se laver. Il nous explique la guerre pour chopper la savonnette, les cris des enfants joyeux d'être propres et badigeonnés de crème hydratante. On reste ainsi 3h à siroter du thé au lait, tandis que la foule vêtue de guenilles défile. Quelques hommes se lavent aux robinets, vêtus de draps, d'autres vendent des journeaux, d'autres encore mendient, avec des enfants sales dans leurs bras. Certains paraissent tout de même heureux, comme si la faim, le sommeil, la maladie, la corruption, l'horreur n'existaient pas, ou bien n'avaient pas d'emprise sur eux.
Nous décollons ensuite pour la gare routière, en empruntant le métro (qui est également dans un sinistre état) puis un bus bondé de monde. Et nous attendons sur le quai, lessivés. Cette fois c'est promis, on se fait une pause à Varanasi.
On embarque à 17h45, Yoann s'endort immédiatement sur sa couchette. Laure discute avec une adolescente de tout et de rien pendant plusieurs heures. C'est vraiment enrichissant et la fillette a un esprit vif et critique sur la situation en Inde, malgré son jeune âge. Elle se confie à Laure comme le ferait une petite sœur, en manque de compréhension. Elle a un 'boyfriend' et en est très fière, mais ne l'a pas encore présenté à ses parents (en anglais, elle dit: 'j'espère que ma mère ne comprend pas ce que je suis en train d'expliquer' et la regarde d'un air malicieux!) Le mariage forcé est encore monnaie courante. Alors son petit ami doit d'abord se trouver une bonne situation, avant toute chose. Ses parents à elle devront payer une grosse dote pour cette union, si elle est acceptée (question de castes également), c'est une véritable ruine pour la famille. Heureusement, elle est fille unique.
Elle explique ensuite son emploi du temps, réglé comme du papier à lettre par sa mère. Les repas sont très importants, tout du moins lorsqu'on peut s'en offrir le luxe (ce sont ses mots!). Petit-déjeuner, déjeuner au retour de l'école vers 14h, cuisiné par sa mère, puis goûter à 18h et repas du soir vers 21h. C'est donc pour ça tous ces ventres un peu grassouillets des indiens de classe respectable! La nourriture est bonne, ou du moins à bon goût (vu l'état de Yoann, on peut s'amuser à jouer sur les mots!) mais grasse et bourrative (une assiette de lentilles avec des galettes de farine non levées, c'est du sport à avaler, puis à évacuer...).
Avant de se marier, elle fera un stage intensif de cuisinière, car ce rôle est très important dans la famille. Elle veut travailler dans les banques, ou devenir chanteuse, comme celles des Boliwood-films. Ma foi, le rêve fait vivre, dit-on! Laure lui explique que c'est très important qu'elle continue de travailler après son mariage, pour avoir une certaine indépendance et entretenir sa culture et des liens sociaux. Elle acquiesce, "surtout que les cours sont difficiles et qu'ils faut s'accrocher dur". Elle connaît couramment l'anglais et fait danser ses mains lorsqu'elle parle. C'est magique!
Elle s'est fait rouspéter par sa mère la dernière fois car elle s'est offert un parfum avec ses économies gagnées par les cours du soir qu'elle donne à Calcutta. Toute honteuse, elle reconnaît que le fameux flacon est déjà vide. Oui, toute bonne chose a une fin. Mais vu que la survie parait être un véritable challenge en Inde, Laure l'a réconforte et lui dit qu'elle a bien le droit de profiter de chaque moments, surtout que ce n'est pas de l'argent volé ni mendié...
À l'école, les élèves apprennent 3 langues: l'hindi, l'anglais, et une option. "Pour connaître une langue, il faut la parler", elle a vraiment de la jugeote la petite! Comme il est rare de trouver quelqu'un qui parle français, allemand, italien ou espagnol, la majorité des étudiant choisisse le dialecte de leur région. Elle écrit une phrase en Hindi, les lettres d'un même mot sont reliées entre elles par un trait horizontal, c'est joli comme tout.
Puis vient l'heure de se coucher (20h), enfin plutôt pour Laure qui est claquée. Juidi aurait bien continué à discutter... On sort les gros duvets car les fenêtres ne ferment pas correctement et ça caille dur avec les courants d'air. Le sommeil vient vite, mais la nuit est entrecoupée mille et une fois par le brouhaha, les trains en contre-sens, la lumière, les gens qui toussent, ronflent, pètent, crachent...
La tombe de mère Theresa, simple comme sa vie, même si le cercueil doit tenir en largeur...
 

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